Selon le ministère de la Santé, il faut s’attendre à une catastrophe sanitaire dans 30 ans si les Tunisiens ne changent pas leur comportement alimentaire.
L’hypertension artérielle (HTA) est un problème de santé publique mondial. C’est l’une des principales causes de mortalité précoce dans le monde et les chiffres ne font que le confirmer : 10.4 millions de morts attribués à l’HTA avec une perte de 208.129 millions d’années de vie. Pis encore, un milliard hypertendus sont prévus dans le monde d’ici à 2025. La Tunisie est bel et bien concernée par cette maladie silencieuse qui ne présente aucun symptôme ni signe particulier. Résultat, 1.5 million de Tunisiens sont hypertendus, soit une personne sur trois au-delà de 30 ans et 60% des hypertendus ne savent pas qu’ils le sont.
Sel et hypertension artérielle
D’après Leila Abid, professeur en cardiologie au CHU Hédi-Chaker Sfax et présidente de la Société tunisienne de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (Stcccv), l’HTA concerne un citoyen tunisien sur trois, âgé entre 30 et 70 ans, et un Tunisien sur trois décède d’une pathologie cardiovasculaire. Selon elle, cela est dû essentiellement à la forte consommation de sel, précisant que le Tunisien consomme environ 12 grammes de sel quotidiennement, considéré comme le plus grand taux de consommation dans le monde, contre une moyenne qui ne doit pas dépasser les 4 grammes par jour. « Les Tunisiens, qui sont la population la plus vieille en Afrique, sont les champions de la consommation quotidienne de sel, avec une moyenne qui varie entre 10 et 12 grammes », indique-t-elle.
Elle ajoute que 60% de patients ne sont pas conscients qu’ils sont hypertendus. Il s’agit d’une maladie silencieuse et souvent diagnostiquée de manière fortuite et tardivement, en raison de l’absence de symptômes révélateurs. L’HTA est souvent diagnostiquée lors d’une complication cardiaque ou vasculaire. Le vieillissement, qui favorise la perte d’élasticité des artères, constitue le premier facteur de risque non modifiable. Mais d’autres facteurs de risque sont déterminés par des habitudes ou une hygiène de vie qu’il est possible de modifier : une consommation élevée de sel, le surpoids, la sédentarité, le tabac ou encore l’alcool. Si elle n’est pas traitée, l’HTA peut à terme entraîner des complications graves au niveau cardiovasculaire, cérébrovasculaire ou au niveau de certains organes cibles (rein, rétine…). «Pour traiter cette maladie silencieuse, la première action de prise en charge en Tunisie consiste à changer le mode vie par des mesures hygiéno-diététiques, à l’instar de la réduction de la consommation de sel, sinon, il faut s’attendre à une catastrophe sanitaire dans 30 ans, si les Tunisiens ne changent pas leur comportement alimentaire», souligne-t-elle.
Le pain allégé en sel, l’une des solutions…
Pour remédier à cette situation, la Stcccv a eu l’idée de lancer depuis 2018 un pain allégé en sel (qui contiendrait 2 grammes de sel par baguette, soit une réduction de 54%), afin de diminuer la consommation de sel chez les Tunisiens et minimiser, par la suite, les risques d’hypertension artérielle. «L’on sait tous que le pain est l’aliment de base de notre alimentation quotidienne. Avec la consommation d’une simple baguette, le demi de nos besoins en sel est couvert, car une seule baguette pourrait contenir jusqu’à 6 grammes de sel, ce qui est énorme… Ajoutons à cela que la consommation de pain demi-sel permettra de réduire de 10% le taux des maladies cardiovasculaires au cours des dix prochaines années. C’est pourquoi, on travaille actuellement en étroite collaboration avec le ministère de la Santé pour la généralisation de la réduction du sel dans le pain pour une alimentation saine…Aujourd’hui, le besoin de diminuer cette consommation se fait réellement sentir, car à défaut, c’est la catastrophe sanitaire. Mais en parallèle, un énorme travail de sensibilisation devrait être effectué pour atteindre tous ces objectifs et d’autres produits alimentaires devraient suivre dans cette stratégie pour un meilleur avenir sain», explique Pr Abid.
Activité de sensibilisation du grand public
D’après la Pr, la prévention et la maîtrise de l’hypertension sont un problème complexe qui nécessite une collaboration de toutes les parties concernées. Dans ce cadre, la Stcccv et Sanofi Tunisie viennent de lancer une campagne de communication commune qui sera déployée durant tout le mois de mai 2019, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de lutte contre l’HTA, qui a coïncidé cette année avec vendredi 17 mai 2019. L’objectif de cette campagne, baptisée «Idghat», est de sensibiliser le grand public au dépistage, causes, symptômes, traitements et complications liées à cette maladie chronique, en plus de l’importance de la prévention pour un meilleur contrôle. Des vidéos de sensibilisation, des interventions télévisées et des spots radiophoniques ont été déployés à cette fin.
«On va se déplacer dans toutes les régions pour dépistage, prévention et éducation thérapeutique au sein de quelques entreprises. Dans une première phase, des examens médicaux ont été effectués par des unités mobiles dans les villes de Sfax, Tunis, Sousse. Sur les 660 employés consultés, 104 cas d’hypertension artérielle ont été diagnostiqués, soit un taux de 16%. Cette expérience sera généralisée sur tout le territoire pour diminuer autant que possible le risque de souffrir d’hypertension et des conséquences liées à la maladie», précise le Pr Abid.
Elle ajoute que la Stcccv compte lancer un Registre national sur l’hypertension artérielle pour suivre la progression de la prévalence de l’HTA et des facteurs de risque associés, juger de l’évolution des habitudes nutritionnelles et évaluer la qualité de prise en charge de cette maladie chronique. «Les études élaborées par la Stcccv ont touché, jusqu’à présent, un échantillon de 25.546 personnes sur tout le territoire, dont 16.325 ont été questionnées pendant le mois de Ramadhan. A travers cette initiative, on vise à élaborer des stratégies futures riches en recommandations tunisiennes sur l’HTA. La Tunisie est capable de gagner ce nouveau défi», affirme-t-elle.
Des recommandations pour le mois de Ramadan
Le Dr Wissem Sdiri, chef de service de cardiologie au CHU Bougatfa de Bizerte et coordinateur du groupe de l’hypertension artérielle, a apporté les recommandations de la Stcccv pour le mois de Ramadan. En effet, la surveillance de chaque hypertendu au cours du jeûne s’avère nécessaire pour éviter le déséquilibre tensionnel ou toute autre complication. C’est pourquoi chaque patient devra consulter son médecin traitant pour obtenir l’autorisation de jeûner durant ce mois saint et préciser la nouvelle répartition des médicaments. Il est, également, recommandé d’éviter toute activité sportive intensive, fortement consommatrice d’eau et de minéraux, surtout en période de forte chaleur, alors qu’on ne peut pas compenser par des boissons tout au long de la journée. Par contre, on peut exercer une activité physique réduite durant la journée (une marche de 20 minutes). Il est, en outre, conseillé d’adopter une alimentation saine, en réduisant la consommation de sel et de matières grasses. Aussi, l’hydratation doit être abondante et régulière… Pour toute personne hypertendue, il est impératif d’éviter les mines de sels, (anchois, olives)… et d’équilibrer les repas à travers des fruits et des légumes.